dimanche 23 juin 2013

Jean de LA FONTAINE, poète français

Jean de la FONTAINE naquit à Château-Thierry le 8 juillet 1621, de Jean de la Fontaine, maître des eaux et forêts, et de Françoise Pidoux, fille du bailli de Coulommiers; il mourut à Paris, rue Platrière, le 13 mars 1695, âgé de soixante-quatorze ans. Nous ne suivrons point, eu traçant le portrait de cet homme si justement célèbre, la marche de quelques biographes qui ont écrit sa vie, et qui, sur la foi de quelques plaisanteries de société, se sont plus à le montrer comme un jeu bizarre de la nature. La Fontaine en fut plutôt un prodige. Celui, en effet, qui a offert le contraste aussi rare qu'étonnant, d'un conteur trop libre et d'un excellent moraliste, qui reçut en partage l'esprit le plus fin qui fut jamais, et devint en tout le modèle de la simplicité ; celui qui posséda le génie de l'observation, même de la satyre, et ne passa jamais que pour un bon homme, qui déroba, sous l'air d'une négligence, quelquefois réelle, les artifices de la composition la plus savante; qui fit ressembler l'art au naturel, souvent même à l'instinct; celui qui cacha son génie par son génie même, et qui tourna, au profit de son talent, l'opposition de son esprit et de son âme; cet homme, s'il ne fut pas, dans le siècle des grands écrivains, le premier des auteurs, en fut du moins le plus extraordinaire.

Armoiries de Jean de LA FONTAINE
Source : Les hommes illustres, par Charles Perrault, 1696

La Fontaine dut sa naissance poétique à Malherbe. Il le prit d'abord pour son modèle; mais bientôt revenu au ton qui lui appartenait, il s'aperçut qu'une naïveté fine et piquante était le vrai caractère ue son esprit, caractère qu'il cultiva par la lecture de Rabelais, de Marot et de quelques-uns de leurs contemporains. C'est dans la langue ancienne de ces écrivains, qu'il puisa ces expressions imitatives et pittoresques, qui présentent sa pensée toute entière; car nul auteur n'a mieux senti le besoin de rendre son âme visible : C'est le terme dont il se sert pour exprimer un des attributs de la poésie, il communiqua les premiers essais de sa plume à un de ses parents, nommé Peintrel. Celui-ci applaudit aux productions naissantes du jeune poète. Il l'encouragea; il fit plus, il substitua aux modèles, dont il s'était nourri, les modèles de l'Italie ancienne et moderne. Ce Peintrel fut, par rapport à la Fontaine, ce que Prieur fut dans la suite à l'égard de Crébillon. La littérature française leur doit à tous deux les premiers efforts de deux hommes qui ont immortalisé leur siècle par leurs productions. Ainsi se formèrent par degrés les divers talents de Ia Fontaine, qui tous se réunirent enfin dans ses Fables mais elles ne furent que le fruit de sa maturité. Ces sortes d'ouvrages demandent une trop grande connaissance du coeur humain et du système de la société ; ils exigent un esprit trop mûri par l'étude et par l'expérience, pour être en général le fruit ae la jeunesse. La Fontaine, pour céder aux désirs de sa famille, se maria; le sort le servit heureusement : son épouse était une femme estimable, et d'une figure intéressante; il l'aima sincèrement. II lui lisait tous ses ouvrages, et ne manquait jamais de la consulter sur tout ce qu'il faisait. Quand son goût pour la capitale et son amour pour l'indépendance l'eurent éloigné d'elle, il ne manqua jamais d'aller tous les ans lui rendre une visite au mois de septembre.

Portrait de Jean de LA FONTAINE
Source : Les hommes illustres, par Charles Perrault, 1696

Il menait avec lui Racine, Despréaux, Chapelle ou quelques écrivains de ce nom : mais, comme il ne voulait point que ces visites fussent stériles pour lui, il vendait à chaque voyage une portion de son bien, qui se trouva, à la fin, entièrement dissipé. Cette négligence le mit, pour ainsi dire, à la merci des gens riches. La duchesse de Bouillon fut sa première bienfaitrice; ce fut elle qui l'amena à Paris. Le surintendant Fouquet devint ensuite son ami : la reconnaissance de la Fontaine dura autant que sa vie. Deux ans après la disgrâce de son bienfaiteur, on le voyait s'arrêter involontairement autour de la fatale prison où il était détenu, fondre en larmes, et ne s'en arracher qu'avec peine. Lorsqu'il composait la fable charmante des Deux Amis, c'était dans son coeur qu'il puisait sans doute ce sublime sentiment qui y règne. Une autre femme, la célèbre Henriette d'Angleterre, lui offrit un asile : il entra chez elle en qualité de gentilhomme ; mais la mort lui ayant enlevé celte nouvelle amie, il trouva de généreux protecteurs dans le prince de Conti, le duc de Vendôme et le duc de Bourgogne. Il vivait chez eux avec Lafare et Chaulieu. Enfin, une troisième femme, l'ingénieuse la Sablière, le retira chez elle, et prit soin de le consoler des rigueurs de la fortune. La Fontaine eut le malheur de la perdre, et par sa mort, de retomber dans le besoin.

C'est une singularité frappante, de voir un écrivain tel que lui, né sous un roi, dont les bienfaits allèrent quelquefois chercher les savants du Nord, vivre négligé, mourir pauvre, et près d'aller, dans sa caducité, chercher, loin de sa patrie, les secours nécessaires à la simple existence. La source de cet abandon n'a pas été assez remarquée : c'est que la Fontaine porta toute sa vie la peine de son attachement à Fouquet, ennemi de Colbert. Peut-être n'eut-il pas été indigne de ce ministre célèbre, de ne pas punir une reconnaissance et un courage qu'il devait estimer, et la postérité ne reprocherait point à sa mémoire d'avoir abandonné au zèle bienfaisant de l'amitié, un homme qui fut un des ornements de son siècle, qui devint le successeur immédiat de Colbert lui-même à l'académie, et le loua d'avoir protégé les Lettres. Une fois négligé, ce fut une raison de l'être toujours suivant l'usage, et le mérite de la Fontaine n'était pas d'un genre à toucher vivement Louis XIV. Malgré cet abandon, qui retarda même la réception de l'auteur des Fables à l'académie française, la Fontaine fut heureux; il le fut même plus qu'aucun des grands poètes, ses contemporains. S'il n'eût point cet éclat attaché aux noms des Racine, des Corneille, des Molière, il ne fut point exposé au déchaînement de l'envie. Son caractère pacifique le préserva de toute espèce de querelles littéraires. Cher au public, cher aux plus grands génies de son siècle, il vécut en paix avec les écrivains médiocres : pauvre, mais sans humeur, et comme à son insu, libre de chagrins domestiques, d'inquiétudes sur son sort, ses jours parurent couler négligemment comme ses vers. Aussi, malgré son amour pour la solitude, malgré son goût pour la campagne, ce goût, si ami des arts, auxquels il offre de plus près leur modèle, il se trouvait bien partout. En 1692, il eut une maladie, dans laquelle il témoigna du regret d'avoir écrit ses Contes. Les charmes de la poésie l'entraînèrent après sa guérison, et il laissa échapper encore celui de la Clochette.

Il renonça cependant tout-à-fait à ce genre d'écrire, et la mort le surprit au milieu des austérités de la religion. Il s'était fait lui-même cette épitaphe, qui le peint si parfaitement:

"Jean s'en alla comme il était venu,
Mangeant son fonds après son revenu ;
Croyant le bien chose peu nécessaire :
Quant à son tems bien le sut dépenser :
Deux parts en fit, dont il soulait passer,
L'une à dormir, et l'autre à ne rien faire. "


Source : Les siècles littéraires de la France: ou Nouveau dictionnaire, historique, critique, et bibliographique, de tous les écrivains français, morts et vivans, jusqu'à la fin du XVIIIe. siècle v. 3 (F-H), par Nicolas Toussaint Le Moyne Des Essarts, 1803


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